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Pont de la Mescla

La construction d’une ligne de tramway dans la vallée de la Tinée est décidée en 1902 pour aller de la Mescla jusqu’au village de St Sauveur plus haut dans la vallée. Cette ligne est  mise en exploitation le 11 avril 1912. Devant le développement de l’automobile, son exploitation s’arrête le 30 juin 1931. 

Pour traverser le Var à l’emplacement choisi, au confluent du Var et de la Tinée, il est nécessaire de construire un pont qui soit assez haut pour éviter les crues du fleuve côtier mais aussi assez bas pour raccorder la voie future du tramway à celle de la ligne des Chemins de fer du Sud de la France. L’implantation d’une pile paraissait dangereuse pour un pont dont le tablier devait être établi aussi bas, et l’étroitesse de la vallée en ce point interdisait de lancer une poutre métallique aussi longue. L’ingénieur chargé de concevoir la ligne, Paul Arnaud, choisit de recourir au béton armé. La solution adoptée est celle d’un tablier partiellement suspendu à la partie centrale de deux  arcs disposés de chaque côté. Cette disposition réunit les avantages du pont-poutre et du pont en arc. De 75 m de longueur totale, il est donc constitué de deux arcs entretoisés de 60 m d’ouverture et de 53 m de rayon de courbure. En 1907, le chantier de l’ouvrage est adjugé  à l’entreprise Armand Danat (entreprise de Golf-Juan et concessionnaire des brevets Hennebique). 

Le cahier des charges du pont précisait les dimensions de l’ouvrage à construire mais aussi les qualités des matériaux. Ainsi le dosage en ciment était imposé : 400 kg de ciment Portland, 400 l de sable et 800 l de gravillons pour l’arc et 350 kg de ciment et le même dosage en granulats pour le reste de l’ouvrage. Le cahier des charges prévoyait aussi une cure par arrosage du béton pendant 15 jours.

La note justificative de la société Hennebique  est très succincte (6 pages !) et repose sur des hypothèses de charge émanant des ponts métalliques qui étaient employés à l’époque pour le chemin de fer. Les coefficients de travail étaient de 25 kg par centimètre carré pour le béton comprimé (soit environ 2,5 MPa) et de 12 kg par millimètre carré pour l’acier (soit environ 120 MPa). Par exemple, pour les arcs les calculs donnaient un effort égal à 250 t par arc. La section de béton étant de 40 cm x 60 cm, elle pouvait reprendre 60 t et l’acier était donc dimensionné pour reprendre les 190 t restantes. Cela correspondait à 16 barres de 36 mm de diamètre (8 en haut et 8 en bas). 

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La construction : 

« Le 5 juillet 1909 on commença par creuser dans le calcaire gris compact des deux versants de la vallée pour y encastrer profondément les fondations des deux culées… Plusieurs difficultés durent être vaincues. On ne pouvait pas stocker en ces lieux exigus les matériaux nécessaires à la construction et il fallut les préparer à distance pour approvisionner le chantier au fur et à mesure. Il fallait que les travaux soient terminés avant les fortes pluies de l’automne, et le béton devait avoir pu sécher avant le gel.

On enfonça dans le Var avec un pilon à vapeur 500 kg de pilotis de bois venus des forêts alentour pour former les huit palées supportant la charpente du coffrage qui fut assemblé en quatre semaines.

Le bétonnage fut réalisé du 15 septembre au 15 octobre par des ouvriers spécialisés détachés par la société Hennebique. Le ciment Portland était approvisionné par train de l’usine Thorrand-Durandy de Baou Rous (A quelques kilomètres du site du pont.) jusqu’à la gare de Tinée puis transbordé par charrette à la Mescla. Le gravier était extrait du lit du Var et le sable de celui de la Tinée. Le béton était gâché sur les deux rives, à la main en rive gauche, et par une bétonnière en rive droite. Une fois prêt il était porté par deux hommes sur une sorte de civière dite ‘bayard à caisse’. Deux cents mètres cubes furent employés sur le pont, auxquels s’ajoutèrent cent soixante mètres cubes pour le remplissage des caissons de culée. Les dernières finitions furent réalisées fin octobre avant la période des pluies et des crues. Le décoffrage eut lieu entre le 10 et le 15 novembre et le décintrement dans la deuxième quinzaine de décembre. L’intérieur des coffrages avait été garni de toile pour que le béton apparaisse lisse, et non marqué par l’empreinte des planches du coffrage…

L’ouvrage était achevé dans les délais et dans la limite budgétaire prévue… »

Texte repris (avec l’aimable autorisation de sa famille) d’un extrait du livre Ponts et merveilles de Colette Bourrier-Reynaud.

Le 15 septembre 1911 une épreuve de mise en charge (selon le protocole du règlement du 29 août 1891 pour les ouvrages métalliques) est réalisée. Cette épreuve consiste à faire passer et stationner un train (Deux voitures automotrices de 15 t chacune avec 3 wagons de 15 t chacun) sur le pont à différentes positions avec également un chargement des trottoirs. La flèche et sa réversibilité sont mesurées avec un niveau à lunettes pendant ces essais. La flèche mesurée est au maximum de 12 mm (soit 1/5000 de la portée) alors que la flèche à ne pas dépasser est de 60 mm. Les résultats des épreuves sont donc satisfaisants.

Effets de la corrosion sur le pont de la Mescla (cliquer pour agrandir l'image)

Devenir du pont ? 

Ce pont qui a plus de 100 ans est resté sans entretien depuis 1931 et a subi les assauts du temps. L’ouvrage présente donc un certain nombre de désordres. Le premier type est lié à une corrosion assez généralisée des armatures. On constate par exemple que certaines d’entre elles sont complètement désolidarisées du béton. Toutefois le désordre le plus préoccupant est l’endommagement des appuis : une partie de l’arc a été détruite (sans doute lors d’une crue de la Tinée et du Var). 

Le premier règlement français pour le béton armé datant de 1906, on voit que ce pont est une des premières applications, surtout pour le ferroviaire. Il présente donc un intérêt historique certain. Il serait donc nécessaire de le conserver et de réaliser une restauration indispensable.